Raje Fait Son Festival /// Heureux Les Orphelins entretien avec Mathieu Le Goaster par Pierre Avril, Article par Adeline

Raje Fait Son Festival /// Heureux Les Orphelins entretien avec Mathieu Le Goaster par Pierre Avril, Article par Adeline

HEUREUX LES ORPHELINS
 

Durée : 1h15
du 7 au 29 juillet - Relâches : 9, 16, 23 juillet

à 16h00 au Théâtre de l'Oriflamme



Interview de Mathieu Le Goaster par Pierre Avril, Article écrit par Adeline Avril

 

Texte et mise en scène Sébastien Bizeau

Avec Jean-Baptiste Germain, Matthieu Le Goaster, Paul Martin, Cindy Spath et Maou Tulissi

Lumières Tristan Ligen

Théatre de  l’oriflamme

Attachée de presse : Dominique Lhotte



 

Que vous soyez férus de mythologie ou bien de théatre, ou bien que votre scolarité vous ait laissé “de beaux restes”, il est possible que l’histoire d’Electre et de son frère Oreste éveillent quelques souvenirs en vous.

C’est bien à ces deux là que nous avons affaire dans cette pièce, librement adaptée de Giraudoux, qui avait lui-même déjà librement adapté le mythe originel. 

 

Mais il est inutile de réviser avant de venir voir le spectacle, qui vaut par lui même et vous tient en haleine d’un bout à l’autre!

 

Ainsi, au Royaume d’Argos, transformé en haut lieu de la gastronomie dont le chef et roi s’est donné la mort, nous retrouvons Clytemnestre et ses enfants , à savoir Electre l’affamée de justice et de vengeance et Oreste, son frère qui tente de continuer sa vie dans la politique, grâce aux petits arrangements du langage dont il est devenu un expert auprès d’un ministre qui vous rappellera bien des hommes politiques de notre temps. Il est aussi torturé qu’Hamlet et sommé par Electre de venger son père.

 

L’adaptation proposée par Sébastien Bizeau est d’autant plus intéressante, que ce ne sont pas des détails qui sont actualisés mais les armes mêmes du combat. Quant à la forme, quoi de mieux pour une histoire de vengeance qu’un thriller philosophique ? Pour autant, le texte de Giraudoux est adapté mais extrêmement respectueusement transmis, parfois à la lettre près.

 

Pourquoi la jeune Electre hait sa mère à ce point? Pourquoi ceci est-il une histoire de vengeance, alors qu’il n’y a pas d’ambiguité sur les raisons du décès du père adoré (Agammemnon pour les intimes….) ? S’il n’y a pas d’épée tranchante, comment la vengeance aura-t-elle lieu?

Comme souvent dans les meilleures enquêtes on s’aperçoit après coup que tous les éléments se sont mis en place dès le début…Alors ouvrez l’oeil et ouvrez les oreilles!

 

Les personnages , gravés dans l’inconscient collectif du théatre pourraient sembler difficilement compatibles avec notre ère connectée, où les comptes se règlent sur twitter par shitstorm interposée… C’est toute l’intelligence du texte, de sa mise en scène et de son interprétation: les petits arrangements avec les morts et avec les vérités , les histoires familiales révisées, la tromperie, la jalousie. Franchement, peut-on dire des passions tristes et de la course au pouvoir que notre soi-disant progrès les a atténués?

L’auteur nous rappelle avec art que les mots sont si puissants qu’ils peuvent à la fois enfanter et tuer. Il y a de purs morceaux d’anthologie dans cette pièce, quand s’entremêle le jargon managérial et la communication politique. On en rit surtout parce que c’est “tellement vrai”, proche de nous, et tellement bien interprété, et pourtant, on pourrait à l’instar d’Electre, le dénoncer quitte à créer le chaos.

 

Chaque personnage porte sa vérité recomposée, son langage, selon son positionnement sur l’échiquier. Pas un noir, pas un temps mort, et des trouvailles scéniques qui vous arrachent tantôt des larmes tantôt un rire inattendu (voir notamment les personnages du cousin Pilade et ses avatars, en choeur antique un peu particulier, ou celui du ministre, pour lequel Oreste écrit des discours avec son cousin, que l’on sent bien proche du besoin de révélation de la belle Electre)

 

Le décor est d’un sobriété salutaire, mettant en avant les enjeux, les personnalités, le jeu des comédiens qui irradient littéralement cette histoire et en même temps la font chair et vérité avec et au-delà du verbe. Les quelques objets qui servent la scénographie ont trait à la communication et l’éclairage, autour d’un dispositif de salle d’attente nomade.

 

Un autre gros atout du spectacle, c’est sa distribution, magistrale. Oreste et Electre, héros de cette machine infernale en marche, frère et soeur le plus souvent en communication par téléphones interposés, sont incarnés par deux comédiens lumineux et ombrageux à la fois. Electre est servie par l’energie revendicatrice et habitée par la vengeance de Maou Tulissi , dont le visage pré-raphaëlique contraste avec la brutalité incandescente du personnage, et à laquelle s’oppose le jeu à la fois sobre et habité de Mathieu Le Goaster qui joue un Oreste  torturé et pris entre sa fidélité à sa soeur sans parvenir tout à fait à hair une mère imparfaite. Un Oreste qui est aussi le maître du jeu car il est le maitre des mots. Sensible dans l’intimité de la famille, presque cynique en situation de travail auprès d’un ministre burlesque, il est le fil de l’histoire et le bras vengeur, l’artisan du dernier événement, que je ne veux pas dévoiler ici.

Cette mère, Clytemnestre, est jouée par Cindy Spath, qui donne à la figure mythique de la mère indigne une épaisseur complexe, sensuelle et troublante, presque aimable. Faut-il la condamner? S’est-elle condamnée elle même? Bien que la pièce nous apprenne rapidement sa maladie puis son coma, lorsque son fantôme revient plaider sa cause auprès d’Oreste et d’Electre, l’incarnation de la comédienne nous met dans un nécessaire inconfort, car là encore c’est bien de langage qu’il s’agit. Jusqu’où peut-on aller, jusqu’où est-elle allée? A-t-elle joué, vraiment, un rôle dans le suicide de son époux ? Avoir un amant est-il vraiment une vilenie méritant punition?

 

Les autres personnages sont interprétés par deux comédiens véritablement déjantés: Jean-Baptiste Germain  incarne en effet, tour à tour, dans un vent de folie, Egisthe (amant de Clytemnestre, coupable présumé de la mort du père- Agamemnon, toujours- le Ministre dont Oreste conduit la communication, le médecin qui annonce les mauvaises nouvelles de la santé de Clytemnestre à l’hopital (les mots, toujours les mots), le prêtre de l’hopital. Fabuleux dans tous les rôles, Jean-Baptiste Germain est lui aussi un comédien qu’on espère revoir souvent.

 

De même pour le comédien Paul Martin, qui joue le tendre Pilade, cousin de la famille fort proche d’Electre, plaidant pour une parole plus vraie auprès d’Oreste quand il s’agit de repenser les discours du ministre, notamment au sujet du glyphosate (eh oui !). Ce n’est pas sont seul talent, mais puis-je dévoiler qu’une des scènes les plus folles lui revient, et qu’il pousse ma foi plutôt bien la chansonnette? Tour à tour psychologue lacanien, barman cosmique, porteur de  lumière, attaché parlementaire ? Il est époustouflant.

 

Bref, cette pièce est un véritable coup de coeur, que vous devez absolument venir voir cet été au théatre de l’Oriflamme! 

Adeline Avril

 


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