En attendant La Nuit

13 juin 2024
Cette semaine, nous allons parler du film "En attendant la nuit" de Céline Rouzet, premier long-métrage de la réalisatrice qui avait jusque-là réalisé un documentaire sur les Papous. Changement de cap donc, avec ce film de genre qui propose au casting Élodie Bouchez, la très en vue Céleste Brunnquell, remarquée depuis 2021 et la série "En thérapie", et Mathias Legout Hammond dans le rôle-titre de Philémon.



C'est un film de vampire d’un type assez nouveau, ancré dans le quotidien d’une famille qui doit s’adapter à la condition de Philémon et vivre en marge. Philémon a besoin de sang humain pour survivre. Dès sa naissance, il mord le sein de sa mère... Sa mère lui fait des transfusions quotidiennes, seul moyen pour l’enfant de survivre. En grandissant, Philémon a besoin de plus de sang et sa mère (Élodie Bouchez), qui travaille dans des centres de don du sang, doit voler des poches de sang pour l'alimenter et éviter qu'il ne trépasse. Le film commence par un emménagement dans une nouvelle bourgade pavillonnaire, cernée par les forêts (la Haute-Saône) : nouvel environnement, nouvelle vie et nouvelles rencontres ; autant de points de tension.

Par rapport au mythe du vampire, on sait d’emblée qu’on a une adaptation pour le film : c’est uniquement la lumière directe du soleil que doit éviter Philémon, qui porte régulièrement une veste et une casquette pour s'abriter, même en plein été. Le travail sur la lumière et l’image est assez remarquable. Pour le chef opérateur Maxence Lemonnier, c’est aussi un premier long métrage. Le défi du film de vampire tourné essentiellement dans l’obscurité est relevé par des jeux de demi-jours, de tentures, de tissus tendus sur les fenêtres qui apportent une touche colorée.

Il y a une grande hype du film de genre depuis quelques années. Loups-garous avec "Teddy", requins récemment avec le nanar de Netflix, invasion de criquets dans "La Nuée", film gore de série B avec "Coupez !" de Michel Hazanavicius, film fantastique avec "Le Règne animal" : le film de genre envahit les salles obscures et amène un vent de renouveau sur le cinéma français.

Le film de Céline Rouzet maintient les tensions érotiques caractéristiques du genre, qu’il s’agisse de "Nosferatu" de Murnau, de "Dracula" de Coppola, ou encore de "Only Lovers Left Alive" de Jarmusch, qui semble avoir particulièrement marqué "En attendant la nuit", notamment d’un point de vue sonore. Ici, on est à l’heure des premiers amours et c’est la rencontre de Philémon avec Camila (Céleste Brunnquell) qui va être un des détonateurs de tension, l’autre étant l’approvisionnement en sang de la mère infirmière.

"En attendant la nuit" est souvent comparé à "Le Règne animal" en raison de nombreux thèmes communs : le déménagement, le fait de cacher sa singularité, le fantastique qui s’immisce dans les relations familiales et sentimentales, la manière d’intégrer cette thématique à un univers plausible et réaliste. Le traitement du film est en marge de ce que l’on a l’habitude de voir dans le cinéma français ou franco-belge. Les bandes annonces de "Le Règne animal" en plein tournage de "En attendant la nuit" ont probablement jeté un froid sur le tournage. Ce film aurait peut-être eu un impact plus retentissant s'il n’était pas arrivé quelques mois après le film de Thomas Cailley, dont le budget environ sept fois plus important lui permet d’avoir une envergure considérable. Cela a peut-être influencé la fin du film, qui s’éloigne un peu, en termes de jeu d’acteur et d’esthétique, de son caractère indé, pour devenir un peu grandiloquent et finalement perdre de sa singularité.

J’ai totalement adhéré à la première heure, à l’ambiance, aux images, au stress généré par les poches de sang volées ou par l’exposition au soleil de Philémon. Le spectateur a peur pour le vampire, et il développe une empathie pour sa situation, notamment lors des virées et baignades avec le groupe d’adolescents et jeunes adultes du village. Le jeu d’acteur est juste, mention spéciale à la petite sœur de Philémon, Lucie, interprétée par Laly Mercier, et à Céleste Brunnquell, encore très à l’aise avec ce rôle de post-ado sombre, à l’esprit gothique, vite fascinée par la pâleur et le côté sombre du nouveau venu. Mais la fin du film, qui surjoue le drame, le fait quelque peu s’effondrer alors qu’il partait sur d’excellentes bases, servies par une esthétique indie de qualité. Je le conseille quand même, notamment si cette vague de renouveau du film de genre en France vous intéresse. Son côté indé, plus marqué que sur une grosse production comme "Le Règne animal", pourra en séduire plus d’un.

La bande-son est ici très riche, signée Jean-Benoît Dunckel, encore (je dis encore car il avait déjà signé la BO de "Pas de vagues" dont on a parlé il y a quelques semaines). Qui est JB Dunckel ? Tout simplement une moitié du mythique groupe Air, qui a notamment signé la BO mythique de "Virgin Suicides", source d’inspiration sonore pour ce film. La musique est riche, alternant entre atmosphères électriques très nineties (le film se passe à la fin des années 90) et musiques plus synthétiques de tension. J’aurais pu en choisir un extrait mais le générique de fin l’emporte, tout simplement parce que c’est un de mes titres préférés et de ceux que j’écoutais en boucle à l’époque… Le film se conclut en effet par "Violet", un des morceaux les plus saisissants du groupe Hole, qu’on s’écoute tout de suite.

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