Nope, le dernier film de Jordan Peele, analysé par Adeline Avril

Nope, le dernier film de Jordan Peele, analysé par Adeline Avril

Nope, le dernier film de Jordan Peele est à l’écran. Allez le voir chez notre partenaire, le cinéma Pathé Cap Sud à Avignon...

C’est le troisième film de ce réalisateur étonnant duquel on attend peut-être trop. Et pourtant, ce trop, une fois encore il nous le donne. Si vous avez déjà vu ses deux films précédents, vous avez une petite idée de la façon dont son univers sort des traditions du film de genre sans toutefois les renier. Ainsi, on trouvera encore, dans Nope, cette érudition filmique, ces clins d’oeil référencés, tantôt humoristiques, tantôt poussés au maximum de l’expérimentation, tant visuelle que narrative. On retrouve aussi cette maestria qui le caractérise dans la façon de cadrer les acteurs, mais aussi d’embrasser des paysages nus, vertigineux. Enfin, on retrouve aussi ce qui nous bluffe le plus: son refus de se refaire et son goût pour le défi artistique en général.

A la fois fidèle et irrévérencieux, Peele nous surprend encore. Il le dit lui même, il fait ce qu’il veut et on en redemande. Dans le rôle-titre, le fabuleux acteur Daniel Kaluuya revient, magistral dans un rôle plus terrien, plus mature, plus compact en termes de psychologie. Lui qui explosait déjà l’écran dans Get Out, incarnant le héros piégé dans une secte étrange encore plus tordue qu’il n’y paraissait au premier abord, campe cette fois un héros à cheval, intuitif et taiseux, qui observe les détails de la nature, regardant avec inquiétude chaque changement du ciel, chaque nuance du comportement de ses chevaux.

Peele se joue des archétypes, les tordant, les éviscérant, les pressant à l’extrême pour en extraire un substantifique moelle cinématique d’une extrême finesse. Ainsi, Nope, en back story, c’est l’histoire d’un frère et d’une sœur . Elle est plus paumée que lui. Magnifique , Keke Palmer joue avec énergie cette sœur aussi horripilante qu’attachante. A l’aune des évolutions sociétales, Hollywood a développé son stock de personnages archétypaux ces dernières années et c’est  pour le meilleur: ici, nous avons à faire à  une belle fille au look d’adolescent, férue de nouvelles technologies, qui bouge et parle comme Eddy Murphy ou Huggy les bons tuyaux, habillée façon streetwear, comme une urbaine, alors que son frère, lui, semble à l’aise dans son ascendance “cow-boy afro-américain de Hollywood”. A lui la présence, à elle le bagout, le flow. A lui l’action, à elle les revendications. Du coup, alors qu’elle gesticule et magouille en bougeant son corps comme une fan de hip-hop, lui, il comprend intuitivement ce qui se passe, il déduit les faits de son observation. Même si les faits semblent impossibles. Ces deux-là sont complémentaires. Orphelins, au bord de la faillite à la mort suspecte du père, ils ont l’air antagonistes mais on s’aperçoit vite qu’ils sont les deux parties d’une même solution. Ces deux êtres déjà en difficulté, chacun à sa manière, font face comme ils peuvent: elle fait le lien avec les technologies de captation des mouvements afin de créer une preuve qui pourra les sortir de la mouise et les mettre en lumière, saisissant cette opportunité (OVNI?) et lui, il embrasse l’impossible et il stratégise la défense comme la compréhension de la “chose”. Car c’est bien de cela qu’il est question, encore une fois: deux personnes ordinaires qui affrontent une situation extraordinaire. Certes, ce schéma est une condition classique du film de genre et même de la plupart des bons films ou des bons romans, pour autant, c’est aussi le terreau fertile où les cerveaux survitaminés tels celui de Peele trouvent le moyen de creuser profond, jusqu’à la matière la plus folle et la plus inattendue. Sans effets stressogènes et autres scies pour vous faire sursauter, vous acceptez l’impossible aussi, vous, dans votre fauteuil rouge, le pacte de suspension de la crédibilité est scellé, très vite, avec Monsieur Peele.

Ce grand nuage au-dessus de la plaine sèche et désertique, cette chose qui énerve les chevaux, qu’est-ce que c’est? Et d’ailleurs, est-ce quelque chose?

Ce curieux Jupiter, jeune père de famille et propriétaire d’un parc de divertissement, à côté du ranch des héros, que veut-il exactement? Pourquoi convoite-t-il sans le dire clairement le ranch de nos deux héros, prétendant les aider en rachetant un à un les chevaux du frère et de la sœur, lesquels ne s’en sortent plus financièrement?

Quel animal, au juste, cherche-t-il à dresser?

Trouverez-vous des indices dans son passé d’enfant-star de télé traumatisé?

Débrouillez vous avec ça, heureux que vous êtes de n’avoir pas encore franchi l’entrée de la salle obscure!

 

C’est un film à voir en salle, car le dispositif visuel est travaillé, ce à l’aide du chef-opérateur de Christopher Nolan. On touche au grandiose et la bande originale participe de cet oeuvre à la limite de l’opéra-paysage.

 

Nope resterait mystérieux même démonté à coup de spoiler car il y a dans ce film , une folie irréductible qu’un David Lynch ne renierait sans doute pas. Pour autant, je vous laisse le plaisir de soulever vous même le voile et de jouer avec ce joyau. A partir de mille références, comme Tarentino autrefois, Peele à construit un monde qui n’existait pas avant lui. 

 

La sortie de Nope me semble une bonne occasion de reparler de ses deux précédents films. Dans un ordre chronologique inversé, on s’attardera sur Us, son second bébé horrifique conçu après une carrière d’humoriste essentiellement, scénariste et acteur. Comme dans un bon Stephen King, on commence dans la légèreté, avec une gentille famille américaine qui s’entend bien : maman belle et intelligente, papa portant des lunettes comme Malcom X, grand fort, protecteur bien qu’un peu lent. Ils sont dans l’aisance matérielle. Oui, c’est un film avec des acteurs essentiellement afro-américains, mais ce n’est pas un film de Ken Loach. Ces gens, à priori du moins, vont bien au pays de l’oncle Sam. La fêlure, la couille dans le potage, elle surgit d’ailleurs. Donc, on s’amuse bien avec ce papa qui fait l’enfant avec son gros bateau et maman, belle et intelligente qui rit volontiers avec ses deux bambins adorables. On se doute alors, qu’à la mesure du bien être qui exsude, presque sucré, de ce premier tableau, les protagonistes vont prendre cher dans la suite du film, et nous avec.

Lupita semble heureuse, pourtant elle a vécu une expérience troublante dans son enfance. C’était pendant les vacances, c’était au bord de la plage, c’était dans une fête foraine…. Alors quand son mari et ses enfants insistent pour aller à la plage où se trouve, à peine transformée, ce même parc d’attraction, on comprend qu’elle soit méfiante, même si , comme elle on doute encore un peu de la réalité de l’aperçu que Peele nous a donné, au début du film de cet épisode traumatisant. Lupita, la mère, est le centre vers qui vont converger les évènements qui vont impacter sa famille. On comprend que Lupita devra affronter son passé.

Quand au bout du chemin qui mène à la maison de vacances, toute la famille est là pour constater qu’il y a quatre silhouettes étranges et menaçantes, on découvre avec surprise que le passé a pris plus de place qu’on ne pouvait le penser….

Que dire, alors, de ce film si ce n’est qu’il apportait après l'épatant Get out, premier film de Peele, une nouvelle conception de ce que peut être un film dit d’angoisse joué par des comédiens hors pair, capable de se dédoubler? Parlera-t-on aussi de l’excellente BO du fidèle compositeur

qui crée toutes les musiques des films de Peele, de la photo, véritable œuvre d’art, qui complètent cette expérience presque mystique amenée par la mise en scène et la direction d’acteur de Peele?

On pourrait en parler des heures, mais le mieux, c’est d’aller au cinéma ou de vous procurer ce film. A la différence de Nope, qui peut sortir du label “horreur” pour entrer dans celui d’anticipation avec lequel flirtait déjà Get Out, Us est un beau modèle du genre, malgré les moments d’humour qui deviendront sans doute des scènes d’anthologie (Voir Elisabeth Moss dans ses oeuvres, burlesque comme vous ne l’avez peut-être jamais vu avant ce film), joue parfaitement sa partition terrifique. Accrochez vous au fauteuil, rira bien qui rira le dernier!

 

Enfin, Get out, le premier opus de cette œuvre dont on attend la suite avec impatience. Angoisse, terreur, anticipation? Un peu de tout cela et plus encore. Dès ce premier coup de maître, Peele tordait le cou aux attentes sociétales que l’on pouvait avoir devant ce film d’horreur quasiment labellisé afro-américain. Là aussi, c’est trop jouissif pour vous en priver! Bien sûr, on peut y voir la simple et légitime critique d’une société occidentale qui se regarde le nombril sans s’offusquer d’avoir des domestiques noirs. On peut y voir un héros résigné mais lucide qui n’a pas l’intention de se battre contre des moulins à vents comme semble vouloir le faire sa petite amie blanche et offensée qui prétend le protéger après l’avoir amené dans sa famille soit, “la gueule” du loup, dans tous les sens du terme. Le héros est déjà incarné par Daniel Kaluuya. Jeune photographe, il a l'œil et les sens en alerte, il ne s’imaginait pas que cette rencontre avec sa belle famille serait une partie de plaisir, il s’est fait une raison. C’est un créateur, un photographe, il observe ce monde étrangement décomplexé et curieusement désuet. Trop désuet, trop décalé. Il ne sait pas encore bien ce qui se trame, mais il comprend très vite que ce qui se passe, si dérangeant et offensant que ce soit, masque une réalité encore plus dérangeante. Alors, il fouine, il va comme on dit à la rencontre de l’autre, ne juge pas. Quand l’un des rares noirs présents l’agresse verbalement, il en parle à sa petite amie, qui semble étonnée. Mais ces dérapages non contrôlés ne vont pas cesser là et ses prestigieux futurs beaux parents, respectivement neurochirurgien et psychiatre (envoûtante Catherine Keener)...

Sachez seulement que vous ne regarderez plus jamais une simple tasse de thé et sa cuiller avec les mêmes yeux. Déjà, Peele nous amène à nous coltiner avec l’impensable, à nous perdre  en conjectures et à nous vautrer lamentablement dans nos ressentis et nos préjugés.

Le rôle du rigolo de service était alors tenu par un personnage hors scène, l’ami du héros, resté à la ville et persuadé que c’était une mauvaise idée, ce week-end à la campagne. Est-ce une construction un brin Hitchcockienne? On ne vous le dira pas, mais si c’était le cas, qui s’en plaindrait?

Adeline Avril

 

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Pierre Avril

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